Reflexion sur des élections en Côte d’ivoire

Beaucoup de choses ont été dites sur les récentes élections en Côte d’Ivoire. La « communauté internationale » s’est clairement prononcée en faveur du candidat ADO, donné perdant par la Cour Constitutionnelle mais pas par Commission Électorale Indépendante. Il s’en suit un imbroglio qui amène à une situation où la Côte d’Ivoire se retrouve avec deux présidents.

Je publie ci-dessous l’un des textes les plus éclairés qui ait été écrit sur la question, qui met en lumière pas mal de points que la majorité de ceux qu’on a entendu jusqu’ici ignorent. Ignorer ici pouvant signifier « ne pas être au courant », ou encore « éviter d’en tenir compte » selon les cas.

Le texte est de D.R. BITCHEBE, ingénieur formé à l’École Polytechnique de Yaoundé, et je partage naturellement l’essence de l’avis exprimé.

1. Qui est le vrai président de la côte d’ivoire aujourd’hui ?

– Selon le droit ivoirien, au lendemain des élections, la CEI proclame les résultats provisoires et le CC en proclame les définitifs après examen des recours éventuels.

– Au lendemain des récentes présidentielles, la CEI a proclamé (peu importe la forme et les délais) les résultats provisoires (donnant ADO vainqueur), et la CC a proclamé les définitifs (donnant LG gagnant) après examen des différents recours.

Ainsi, même si la CEI avait proclamé ses « tendances » en 72h, la décision de la CC n’aurait pas changé, les faits objets des recours étant constants selon leurs investigations.

A ce stade, Laurent n’a fait aucun coup de force et peut bien se prévaloir d’être le président légitime de la côte d’ivoire. Ainsi, c’est ADO qui fait le coup de force contre les institutions républicaines en s’autoproclamant vainqueur et en nommant un gouvernement.

2. CEI et CC jouant au chat et à la souris ?

La précipitation avec laquelle ADO avait annoncé qu’il serait le vainqueur des élections (avant même la proclamation des résultats provisoires par la CEI) pouvait déjà attirer l’attention d’observateurs avertis sur la suite du processus. Ensuite, la CEI (après sa déchéance par la CC) verra son président aller proclamer ses tendances dans des conditions frisant la supercherie et l’illégalité ; il l’a en effet fait seul (pas au nom de la CEI et sans le quorum requis), et en toute partialité (puisque dans le champ d’action du candidat ADO). Dès cet instant, le premier pion était poussé et le jeu d’échec pouvait commencer.

Selon le PV de la cour constitutionnelle, la CC n’a pas modifié les chiffres constatés par la CEI, mais a tout simplement révisé ou invalidé les résultats de vote dans certaines circonscriptions, se fondant sur les recours de LG et les investigations qu’elle a eu à mener.

La configuration des deux institutions est depuis leur création telle que la CEI soit favorable à l’opposition, et la CC à la majorité présidentielle. Les stratèges des deux camps se devaient ainsi de tout faire pour damer le pion à l’autre, et «a bien rit, celui qui a rit le dernier ».

3. De la légalité républicaine !

La légalité républicaine est incarnée par les institutions de la république, dans le strict respect des lois et procédures qui régissent le fonctionnement de l’Etat.

LG s’est donc vu investi du pouvoir de gouverner la côte d’ivoire, et toutes les institutions de cette république lui ont fait le vœu d’allégeance après sa victoire et pendant sa prestation de serment.

Des faits pris comme des détails sont importants à relever : LG n’a fait aucune déclaration pour se défendre depuis le début de cet épisode, mais nous avons vu le ballet des forces vives à son domicile après la proclamation des résultats. L’on peut y voir le souhait des ivoiriens (au sommet) de le voir encore conduire la destinée de la république. C’est comme s’il fallait le convaincre du soutien de tous, pour l’encourager à affronter le séisme que les ivoiriens attendaient déjà de la part de certaines nations étrangères en cas d’échec de ADO. LG l’a d’ailleurs évoqué tout le long de sa campagne au 2ème tour : « Voulez-vous un dirigeant choisi par vous-même ou un dirigeant imposé par les puissances étrangères ? » a-t-il martelé plusieurs fois à l’attention des ivoiriens.

4. Situation inconfortable pour ADO du point de vue juridique ?

ADO apparaît donc aujourd’hui n’être qu’un imposteur, du moment où aucune institution républicaine ne reconnaît son pouvoir en côte d’ivoire aujourd’hui. Il est peut-être un bon technocrate, un fonctionnaire de haut rang, mais il n’est pas bon politicien. Comment comprendre qu’il prête serment (par écrit) devant (ou pour) la même juridiction à qui il ne reconnaît aucune légalité ?

Vu les circonstances et les faits, ADO et son soutien (étranger), ensemble avec l’opportuniste GS (Guillaume Soro), ont été une fois de plus roulés dans la farine par le Boulanger LG, et ils n’ont plus que leurs yeux pour pleurer. La communauté (dite) internationale a poussé ADO à la faute en l’encourageant à user de la CEI et du Commissaire des nations unies pour se proclamer gagnant.

Il serait resté tranquille dans l’attente du dénouement des résultats que la CEI l’aurait proclamé vainqueur selon le résultat provisoire qu’elle a soumis à la CC. Alors, les débats à la CC pour invalider le vote dans certaines régions du Nord (condition nécessaire et suffisante pour proclamer LG vainqueur) auraient été plus ardus et auraient requis la certification des organes tels l’ONU. Il aurait été difficile à la CC à ce moment de proclamer unilatéralement les résultats sans se voir taxer de violer certains principes de base, même en cas de recevabilité des recours de la majorité présidentielle. ADO aurait mieux profité de cette situation de crise (sans président) que de celle-ci (avec deux présidents).

ADO ne doit cependant pas abandonner, bien que la tâche ne lui soit plus aisée. Fort de son soutien par certaines institutions internationales, il doit évoquer le droit international (notamment en saisissant la CPI qui reconnaît désormais le coup de force électoral comme crime contre l’humanité) pour s’attaquer au rendu de la CC, à condition qu’il ait des arguments qui militent contre les exactions et autres tripatouillages relevés au Nord par LG dans ses nombreuses requêtes; Et même à ce stade, LG n’aurait rien à se reprocher, puisqu’il tient sa victoire d’un arrêt de la CC.

En effet, l’article 63 (nouveau) du code électoral ivoirien stipule que le résultat définitif de l’élection du Président de la République est proclamé par le Conseil Constitutionnel après examen des réclamations éventuelles, et publié selon la procédure d’urgence dans les sept (07) jours à compter de la réception des procès verbaux.

Et l’article 64 (nouveau) dit que dans le cas où le CC constate des irrégularités de nature à entacher la validité du scrutin et à en affecter le résultat d’ensemble, il prononce l’annulation de l’élection. La date du nouveau scrutin est fixée par décret pris en Conseil des Ministres sur proposition de la Commission Electorale Indépendante. Le scrutin a lieu au plus tard quarante cinq jours à compter de la date de la décision du Conseil Constitutionnel.

Le candidat ADO aurait donc à ce stade attaqué la décision de la CC en demandant la reprise des élections, soit de manière partielle (dans les départements incriminés), soit de manière générale. Il est à noter que cette loi électorale connaît un vide sur l’étendu de la reprise des élections, ce qui suppose qu’une reprise partielle soit possible. Aussi ne pas spéculer sur le mot Ensemble, dès lors qu’un élément de l’ensemble de parties P(E) est lui-même un ensemble, sous-ensemble de E.

Toujours est-il que ce recours juridique devait se tenir pendant que LG serait entrain de gouverner, et vous comprenez toute la difficulté !

6. Des manœuvres frauduleuses dans le Nord : L’échec du complot ourdi par Guillaume SORO (GS) :

« Est pris qui croyait prendre » peut-on dire.

La politique n’est pas l’affaire des opportunistes, et l’africain dit que « si tu cognes les fesses d’un vieux au sol, c’est à toi d’en ressentir la douleur ». Ainsi, GS a cru rouler son mentor dans la boue, mais il se retrouve aujourd’hui une fois de plus dans la défensive. LG qui l’a sorti du noir à la lumière en faisant de lui un homme d’état contre toute attente doit bien sourire en le voyant gesticuler aux côtés de ADO à qui il doit certainement promettre d’être en mesure de jouer les Colonel Kissamba ou Général Wougly Massaga, comme les années antérieures. C’est sans compter avec l’opposition nourrie contre lui dans les rangs des forces nouvelles, bandes d’opportunistes qui n’attendent que la main tendue de LG (et il le sait).

Le revirement de GS et sa nomination comme 1er ministre de ADO permet donc aujourd’hui de remonter à 2002 et de donner raison à ceux qui trouvaient en Ouattara l’instigateur et le financier de la rébellion en côte d’ivoire par le biais des forces nouvelles.

GS, fort des accords politiques avec ADO, a bel et bien orchestré et nourri les exactions dans les bureaux de vote au Nord, dans le but de donner une chance à son candidat. ADO est trop intello pour envisager ce genre de manœuvres!

GBAGBO le sachant, bien que disposant des moyens d’état pour les en dissuader, les a laissés faire. En bon pédagogue et en bon sage (il a appris en dix ans ce que d’aucuns n’apprendront pas toute leur vie sur la palabre à l’africaine), il lui a suffit d’instruire les services de renseignements et les administrations d’en recueillir toutes formes de preuves et d’en faire rapports succincts et circonstanciés, et des preuves pleuvent sur ces dossiers.

Pourquoi ADO ne fait depuis aucune allusion aux recours de son concurrent ? Pourquoi GS (encore premier ministre pendant le processus) ne remet-il pas en cause la véracité des faits relevés par la CC et lesquels ont induit sa décision d’annuler les votes querellés ? Pourquoi la France et ses alliés au dossier en font table rase?

7. De la responsabilité de l’ONUCI ?

Il est important de relever que l’ONUCI n’a qu’une mission de « Certification » (entendu comme attestation de conformité) et non de « validation ». Autrement dit, c’est la CC qui valide les élections et les organismes d’accompagnement attestent de la conformité suivant les procédures préétablies. Le fonctionnaire de l’ONU aura ainsi commis une faute très lourde en montant aux antennes pour proclamer ADO vainqueur, alors qu’il devait se prononcer par écrit sur le rendu de la CC en y portant ses réserves. Il a trahit par son acte son parti pris, et il lui devient dès lors difficile de faire marche arrière. Comme quoi, la politique n’est pas facile.

8. Solutions envisageables ?

Dans les solutions envisageables face à ce problème, trois contraintes limites doivent être prises en compte : (i) GBAGBO ne pourra jamais démissionner face aux pressions, compte tenu de sa légitimité institutionnelle, de son soutien par les institutions républicaines, de son soutien populaire dans les principales capitales (politique et économique)  ; (ii) le gouvernement de Ouattara ne pourra jamais officier en côte d’ivoire, par manque d’institutions de relais et parce qu’il ne dispose pas du pouvoir d’engager la côte d’ivoire ; (iii) Les ivoiriens, qu’ils soient du Nord ou du Sud, ne peuvent plus soutenir une quelconque rébellion qui se manifesterait par un affrontement armé, ce qui rend la solution SORRO peu porteuse.

Face à ces contraintes, une seule possibilité de plate forme s’avère réaliste : l’exemple Zambien ou Mozambicain avec LG comme chef d’état et ADO comme premier ministre. Les institutions internationales vont s’y orienter en dernier ressort et voudront une configuration des postes ministériels qui renforce le pouvoir du PM pour mieux travailler avec ADO et le préparer aux futures échéances.

8. Jusqu’où peut aller la France et les institutions qu’elle manipule ?

La France apparaît en effet être la tête de proue des organismes, nations et autres institutions étrangères qui militent pour ADO. Ce deuxième affront de la côte d’ivoire contre la France doit certainement agacer, mais des exemples plus criards ont droit de cité autour de nous et la France en est impuissante.

Il faut se rendre à l’évidence que la géopolitique fait aujourd’hui de la côte d’ivoire un pays hautement stratégique pour le contrôle du golfe de guinée. Un nationaliste (et GBAGBO en est un à sa manière) aux reines d’un tel pays n’est pas souhaitable pour les puissances coloniales comme la France. La France a eu le soutien (verbal) des états unis pour ADO à la condition qu’elle déclare la fin du précarré français en Afrique, et Obama s’en ait félicité la semaine dernière. En matière de politique internationale, seuls les intérêts comptent, et GBAGBO le sait trop bien. ADO sera utilisé comme monnaie d’échange entre les intérêts français et le gouvernement légitime de côte d’ivoire. Just wait and see

9. Moralité ?

C’est bien de clamer la toute puissance de l’ONU et d’autres institutions internationales (téléguidées par les grandes puissances), mais c’est mieux d’en référer à l’actualité dans le monde pour se rendre compte qu’un nouvel (contre) ordre est entrain de se mettre en place, et c’est bien pour cela que ces institutions sont entrain de se réformer malgré elles et de réviser leur stratégie.

– Quand la France dit aujourd’hui à l’Inde qu’elle mérite sa place de membre permanent du conseil de sécurité, l’on sait bien que ça fait plus de dix ans que les anciens « non alignés » le demandent en vain.

– La Chine est aujourd’hui le vrai régulateur du monde, mais l’occident ne cesse de lui trouver les poux dans la tête le jour, mais en fait la dame de compagnie la nuit. La chine a empêché plusieurs abus en Palestine, en Iran, en Corée du Nord, au Zimbabwe, et tout récemment en Côte d’ivoire ; qui l’aurait cru ?

– A ce jour, l’État de Palestine est reconnu par plus de 100 pays membres de l’ONU sur 192. Certains états essentiellement américains et notamment l’Argentine, le Brésil, Cuba, le Nicaragua, le Costa Rica, le Venezuela, et l’Uruguay viennent de reconnaître l’état souverain de Palestine, mais la France et les états unis s’en sont offusqués !

– En 1997, les Etats-Unis par l’intermédiaire du fameux NDI avaient proclamé la victoire de Ni John aux présidentielles au Cameroun, mais les institutions républicaines en avaient décidé autrement. Personne ne s’en souvient ?

– Et la bataille organisée contre ELECAM par le financier UE a mené à quoi ? Voulait vous dire que le Cameroun soit plus fort que la côte d’ivoire ou que GBAGBO ne soit pas aussi intelligent que notre Père ?

– Etc.

Au demeurant, quelque soit l’attribut de LG aujourd’hui, il doit utiliser tous les moyens de droit et la légitimité qui est sienne pour faire régner l’ordre en côte d’ivoire en s’appuyant sur les institutions républicaines comme l’a fait Sarkozy pour imposer la loi sur les retraites en France récemment; Et ce ne sera que Justice…

D.R BITCHEBE